Nuage
photo: weheartit graphisme: Espoir
April était assise sur un banc au bord
de la cour de son lycée. Elle regardait avec déroutement les
peupliers oranges et les élèves sur lesquels ils faisait pleuvoir
leur feuilles brunes et ors.
La pluie se mit à tomber, grise et
fine. Tous les lycéens se hâtèrent vers les abris, couloirs et
entrées des bâtiments. April chercha des yeux sa classe. Ils
étaient regroupés devant leur classe, profitant du précaire abri
que faisait un peuplier encore pas trop dégarni. Ils riaient
ensemble sous le toit bariolé de leurs parapluies. La cour se vida
entièrement de ses occupants, et April était toujours sur son banc.
Ses cheveux étaient alourdis par l'eau et des gouttes coulaient le
longs de ses joues. Elle ne se levait pas. Elle les regardaient. Ils
riaient. Ils riaient d'elle. Elle en était sûre. Ils riaient de la
voir ainsi trempée par la pluie. Si elle s'était levée
immédiatement, ils ne l'auraient pas fait. Mais pourquoi était elle
restée sur ce banc ? Elle ne savait pas. Peut être pour ne pas
avoir à supporter d'être seule parmi ces amis discutant et
l'ignorant. Peut être parce qu'on ne lui aurait pas proposé un coin
de parapluie. Peut être parce qu'elle n'aurait pas supporté de se
sentir si inutile et indésirable. Peut être parce qu'elle était
idiote. Peut être. Mais maintenant, c'était trop tard. Si elle les
rejoignait, elle entendrait leur moqueries. Hugo la chambrait avec
son humour balourd habituel. Jessica et Sara la regarderaient avec
dégoût et prétention. Julie lui ferait une air désolé et rirait
d'elle avec ses amies. Et chacun lui lanceraient un regard curieux et
méprisant à sa façon. Elle ne leur inspirait que pitié et
moquerie. Pourtant, April le savait, elle méritait d'être connue.
C'était ce que lui assuraient avec gentillesse ses amis. Ses amis de
l'extérieur, qui ne pouvaient pas être là pour la tirer de ce
gâchis. Heureusement, elle n'aurait pas aimé qu'ils la voient
ainsi. Elle faisait pitié, elle le savait. Mais elle avait essayé,
pendant deux mois, elle avait essayé. Elle était allée vers les
autres, elle avait tout fait pour se montrer sympathique. Elle avait
prêté ses cours, expliqué les leçons, donné les devoirs aux
absents, même, elle avait prêté ses DM et aidé durant les
contrôles. Mais ça n'avait servi à rien. On la prenait pour trop
gentille, on profitait d'elle. Elle était la pigeonne de compagnie,
sérieuse en cours et si facile à contenter en échange d'heures de
travail, un simple sourire suffisait. Quand elle s'était rendue
compte de la situation, elle avait essayé de faire marche arrière.
Elle avait progressivement refusé de donner ses réponses, elle
avait mentit pour ne pas avoir à passer des devoirs. Et elle avait
ainsi perdue la maigre sympathie qu'elle avait très chèrement gagné
dans le cœur de certains. Elle avait tout fait de travers. Pourtant
elle avait essayé, combien de fois avait elle essayé ! Elle
changeait d'établissement presque toutes les années, poussant ses
parents à déménager aux quatre coins du globe, espérant à chaque
fois trouver mieux, faire mieux. Mais c'était toujours pire. Elle
n'évitait des erreurs que pour en faire de plus grandes. Elle
n'avait aucun sens social, elle ne savait pas comment se comporter
avec les personnes. Elle n'était jamais à sa place avec d'autres
humains, elle ne savait où se mettre, que dire, que faire. Pourtant,
elle le savait, elle était sympa, cool, rieuse, elle avait même un
grand humour avec sa famille et ses amis de l’extérieur. Mais elle
n'arrivait pas à se faire d'amis en cours. C'était juste
infaisable. Mais elle avait tout pour plaire ! C'était ce qu'on
lui répétait et re-répété quand elle parlait de sa solitude.
Elle était gentille, jolie, même pas timide. Non, elle n'était pas
timide. Elle aurait pu se lever et le crier en se mettant debout sur
le banc. Elle n'était pas timide, mais elle ne savait pas quoi
faire. Même quand elle repensait à des situations seule, elle ne
trouvait pas ce qu'elle aurait du faire. Elle était handicapée de
sens social. Et elle était et resterait désespérément seule. La
solitude en soi, cela ne la dérangeait pas. Même, elle aimait ça.
S’asseoir dans l'herbe de son jardin, écouter de la musique,
chanter avec Taylor Swift, regarder les oiseaux et les nuages, rêver,
c'était son paradis. Mais comme tout humain, elle avait parfois
besoin de compagnie. Elle avait cru un moment qu'elle pouvait s'en
passer, mais c'était faux, et elle l'avait vu. Elle ne pouvait pas
être seule au lycée. Elle ne pouvait pas être seule au milieux
d'adolescents se faisant la bises ou des check, s'embrassant et
discutant du dernier film ou de la Révolution Culturelle. Elle ne
pouvait juste pas. Elle avait besoin d'amis. Même sur le plan
pragmatique, elle en avait besoin. Comment connaître les profs
absents, savoir la prochaine salle, ou récupérer les devoirs sans
ami ? Impossible. Et elle ne pouvait plus supporter cette
solitude écrasante qu'était celle de l'homme seul perdu dans la
foule.
Il y eut du mouvement sous le peuplier.
Les parapluies se refermèrent. Avait-il cessé de pleuvoir ?
Non, elle sentait encore la pluie battant ses épaules. Les élèves
s'alignèrent dans un grand désordre et commencèrent à entrer en
classe. C'était donc ça. April referma sa main sur son sac posé à
coté d'elle. Elle devait y aller. Elle devait se lever. Elle vit une
tête se tourner en sa direction. Elle ne put bouger. Marie souffla
quelque chose à Stéphane qui lui jeta un coup d’œil et eut un rire
à demi-étouffé.
Les derniers élèves s'engouffrèrent
dans la porte et la professeur de français la referma sans voir la
jeune fille toujours sur le banc.
Elle resta une dizaine de minutes à
regarder la porte, se répétant qu'elle devrait aller les rejoindre.
Mais le temps passa, et elle finit par atteindre l'heure où elle ne
serait plus acceptée en cours. Elle sentit un grand soulagement en
voyant le quart d'heure dépassé par l'aiguille de sa montre. Elle
ne pouvait plus y aller maintenant. Elle n'allait pas les voir
pendant une heure. Elle avait l'impression de se sentir plus libre,
elle respirait mieux. Elle leva les yeux et regarda avec un sourire
les nuages gris au dessus d'elle. Les cieux étaient la plus grande
œuvre d'art de la Terre, la Mère Nature était une artiste
incomparable, toutes les tentatives de ses enfants pour l'imiter
étaient vaines. Il y avait un petit nuage à l'écart des autres. Il
était d'un blanc cotonneux qui le différenciait des autres nuages
qui étaient tous gris. Ce petit nuage avait une forme étrange
biscornue. Il semblai repoussant au premier abord avec ses bords
anormalement fin, loin de la douce rondeur habituelle des nuées.
Pourtant, il accrocha le regard d'April, elle le trouvait intriguant.
Il lui était sympathique, et après l'avoir observé un long moment,
elle le trouva beau et amusant avec sa forme saugrenue.
Elle se leva. Elle avait oublié la
porte et ceux sur qui elle s'était fermée. Elle était libre, elle
n'avait que les cieux au dessus d'elle. Les cieux et son petit nuage.
Elle avait le cœur léger et battant tout entièrement pour ce petit
amas de vapeur. Sans plus réfléchir, elle partit vers l'entrée de
l'établissement, laissant son sac derrière elle prendre la pluie.
Elle passa avec une telle assurance devant les surveillants gardant
l'entrée qu'ils n'osèrent l'arrêter, pensant peut être qu'elle
était une professeure ou une élève de classe préparatoire. Elle
se retrouva dehors dans la rue animée sur laquelle donnait le lycée.
Le bruit et l'agitation la perturba un instant mais elle regarda le
ciel et ses doutes s'envolèrent. Le petit nuage était toujours là.
Elle marcha jusqu'à un arrêt de bus et prit le premier qui passa.
Elle n'avait pas sa carte, laissée dans son sac, mais ne s'inquiéta
pas. Elle ne se souciait plus de rien. Elle s'installa sur un siège
et tourna son visage vers le ciel. La pluie s'était arrêtée et les
nuages s'éclaircissaient peu à peu, mais elle ne perdait pas de vue
son nuage. Il glissait doucement dans la direction que prenait le
bus. Quand à un tournant ou devant une grande tour elle le perdait
des yeux, son cœur bondissait et elle se sentait abandonnée. Mais
il revenait toujours dans son champ de vision, et elle poussait un
soupir de soulagement. C'était comme revoir un ami après de longues
heures de solitude.
Elle resta pendant plus d'une heure à
son siège, regardant le ciel à s'en donner un torticolis, puis elle
arriva au terminus. Elle descendit du bus et se retrouva dans la
banlieue. Elle resta un moment debout, immobile, les yeux ne pouvant
quitter son petit bout de coton céleste. Puis un autre bus arriva et
elle le prit en vérifiant simplement qu'il était dans sa direction.
Elle resta encore une demi-heure à le regarder avec émerveillement
dans la voûte qui prenait une teinte bleu clair. Elle descendit
encore une fois une terminus. Elle était à la campagne à présent,
sur une route de taille moyenne. Sans plus regarder autour d'elle,
elle se mit à marcher, suivant des yeux le petit nuage. Elle
avançait sans faire attention aux passants qui étaient contraints
de l'éviter au derniers moment et elle n'évitait poteaux et
barrières que de justesse. Elle continuait à le poursuivre, la joie
au coeur. Elle marcha pendant plus d'une heure, et elle ne ressentait
aucune fatigue. Le nuage l'appelait et c'était tout ce qu'elle
sentait. Elle arriva sur des hautes falaises qui plongeaient
abruptement dans la mer. Elle continua à marcher. Son petit nuage
s'était éloigné, chassé par le vent qui s'était levé. Il était
tout au bout du ciel, touchant l'océan de ses membres blancs. Elle
arriva au bord de l’à-pic. Des centaines de mètres plus bas, les
vagues se fracassaient contre la pierre. Le nuage l'appelait. C'était
son ami, il l'avait attendu, il allait l’accueillir. Elle n'hésita
pas. Elle rejoignit le petit nuage. Sa chute dura de longues
secondes, mais elle ne quittait pas le nuage des yeux. Son cœur
était enfin comblé de toute la joie et la solitude qui lui
manquait.
Elle le rejoignit.
Espoir
J'ai écris cette nouvelle après avoir vu une fille seule sur un banc, et d'après les difficultés pour s'intégrer d'une amie.