samedi 25 février 2012


Nuage
photo: weheartit graphisme: Espoir


April était assise sur un banc au bord de la cour de son lycée. Elle regardait avec déroutement les peupliers oranges et les élèves sur lesquels ils faisait pleuvoir leur feuilles brunes et ors.
La pluie se mit à tomber, grise et fine. Tous les lycéens se hâtèrent vers les abris, couloirs et entrées des bâtiments. April chercha des yeux sa classe. Ils étaient regroupés devant leur classe, profitant du précaire abri que faisait un peuplier encore pas trop dégarni. Ils riaient ensemble sous le toit bariolé de leurs parapluies. La cour se vida entièrement de ses occupants, et April était toujours sur son banc. Ses cheveux étaient alourdis par l'eau et des gouttes coulaient le longs de ses joues. Elle ne se levait pas. Elle les regardaient. Ils riaient. Ils riaient d'elle. Elle en était sûre. Ils riaient de la voir ainsi trempée par la pluie. Si elle s'était levée immédiatement, ils ne l'auraient pas fait. Mais pourquoi était elle restée sur ce banc ? Elle ne savait pas. Peut être pour ne pas avoir à supporter d'être seule parmi ces amis discutant et l'ignorant. Peut être parce qu'on ne lui aurait pas proposé un coin de parapluie. Peut être parce qu'elle n'aurait pas supporté de se sentir si inutile et indésirable. Peut être parce qu'elle était idiote. Peut être. Mais maintenant, c'était trop tard. Si elle les rejoignait, elle entendrait leur moqueries. Hugo la chambrait avec son humour balourd habituel. Jessica et Sara la regarderaient avec dégoût et prétention. Julie lui ferait une air désolé et rirait d'elle avec ses amies. Et chacun lui lanceraient un regard curieux et méprisant à sa façon. Elle ne leur inspirait que pitié et moquerie. Pourtant, April le savait, elle méritait d'être connue. C'était ce que lui assuraient avec gentillesse ses amis. Ses amis de l'extérieur, qui ne pouvaient pas être là pour la tirer de ce gâchis. Heureusement, elle n'aurait pas aimé qu'ils la voient ainsi. Elle faisait pitié, elle le savait. Mais elle avait essayé, pendant deux mois, elle avait essayé. Elle était allée vers les autres, elle avait tout fait pour se montrer sympathique. Elle avait prêté ses cours, expliqué les leçons, donné les devoirs aux absents, même, elle avait prêté ses DM et aidé durant les contrôles. Mais ça n'avait servi à rien. On la prenait pour trop gentille, on profitait d'elle. Elle était la pigeonne de compagnie, sérieuse en cours et si facile à contenter en échange d'heures de travail, un simple sourire suffisait. Quand elle s'était rendue compte de la situation, elle avait essayé de faire marche arrière. Elle avait progressivement refusé de donner ses réponses, elle avait mentit pour ne pas avoir à passer des devoirs. Et elle avait ainsi perdue la maigre sympathie qu'elle avait très chèrement gagné dans le cœur de certains. Elle avait tout fait de travers. Pourtant elle avait essayé, combien de fois avait elle essayé ! Elle changeait d'établissement presque toutes les années, poussant ses parents à déménager aux quatre coins du globe, espérant à chaque fois trouver mieux, faire mieux. Mais c'était toujours pire. Elle n'évitait des erreurs que pour en faire de plus grandes. Elle n'avait aucun sens social, elle ne savait pas comment se comporter avec les personnes. Elle n'était jamais à sa place avec d'autres humains, elle ne savait où se mettre, que dire, que faire. Pourtant, elle le savait, elle était sympa, cool, rieuse, elle avait même un grand humour avec sa famille et ses amis de l’extérieur. Mais elle n'arrivait pas à se faire d'amis en cours. C'était juste infaisable. Mais elle avait tout pour plaire ! C'était ce qu'on lui répétait et re-répété quand elle parlait de sa solitude. Elle était gentille, jolie, même pas timide. Non, elle n'était pas timide. Elle aurait pu se lever et le crier en se mettant debout sur le banc. Elle n'était pas timide, mais elle ne savait pas quoi faire. Même quand elle repensait à des situations seule, elle ne trouvait pas ce qu'elle aurait du faire. Elle était handicapée de sens social. Et elle était et resterait désespérément seule. La solitude en soi, cela ne la dérangeait pas. Même, elle aimait ça. S’asseoir dans l'herbe de son jardin, écouter de la musique, chanter avec Taylor Swift, regarder les oiseaux et les nuages, rêver, c'était son paradis. Mais comme tout humain, elle avait parfois besoin de compagnie. Elle avait cru un moment qu'elle pouvait s'en passer, mais c'était faux, et elle l'avait vu. Elle ne pouvait pas être seule au lycée. Elle ne pouvait pas être seule au milieux d'adolescents se faisant la bises ou des check, s'embrassant et discutant du dernier film ou de la Révolution Culturelle. Elle ne pouvait juste pas. Elle avait besoin d'amis. Même sur le plan pragmatique, elle en avait besoin. Comment connaître les profs absents, savoir la prochaine salle, ou récupérer les devoirs sans ami ? Impossible. Et elle ne pouvait plus supporter cette solitude écrasante qu'était celle de l'homme seul perdu dans la foule.
Il y eut du mouvement sous le peuplier. Les parapluies se refermèrent. Avait-il cessé de pleuvoir ? Non, elle sentait encore la pluie battant ses épaules. Les élèves s'alignèrent dans un grand désordre et commencèrent à entrer en classe. C'était donc ça. April referma sa main sur son sac posé à coté d'elle. Elle devait y aller. Elle devait se lever. Elle vit une tête se tourner en sa direction. Elle ne put bouger. Marie souffla quelque chose à Stéphane qui lui jeta un coup d’œil et eut un rire à demi-étouffé.
Les derniers élèves s'engouffrèrent dans la porte et la professeur de français la referma sans voir la jeune fille toujours sur le banc.
Elle resta une dizaine de minutes à regarder la porte, se répétant qu'elle devrait aller les rejoindre. Mais le temps passa, et elle finit par atteindre l'heure où elle ne serait plus acceptée en cours. Elle sentit un grand soulagement en voyant le quart d'heure dépassé par l'aiguille de sa montre. Elle ne pouvait plus y aller maintenant. Elle n'allait pas les voir pendant une heure. Elle avait l'impression de se sentir plus libre, elle respirait mieux. Elle leva les yeux et regarda avec un sourire les nuages gris au dessus d'elle. Les cieux étaient la plus grande œuvre d'art de la Terre, la Mère Nature était une artiste incomparable, toutes les tentatives de ses enfants pour l'imiter étaient vaines. Il y avait un petit nuage à l'écart des autres. Il était d'un blanc cotonneux qui le différenciait des autres nuages qui étaient tous gris. Ce petit nuage avait une forme étrange biscornue. Il semblai repoussant au premier abord avec ses bords anormalement fin, loin de la douce rondeur habituelle des nuées. Pourtant, il accrocha le regard d'April, elle le trouvait intriguant. Il lui était sympathique, et après l'avoir observé un long moment, elle le trouva beau et amusant avec sa forme saugrenue.
Elle se leva. Elle avait oublié la porte et ceux sur qui elle s'était fermée. Elle était libre, elle n'avait que les cieux au dessus d'elle. Les cieux et son petit nuage. Elle avait le cœur léger et battant tout entièrement pour ce petit amas de vapeur. Sans plus réfléchir, elle partit vers l'entrée de l'établissement, laissant son sac derrière elle prendre la pluie. Elle passa avec une telle assurance devant les surveillants gardant l'entrée qu'ils n'osèrent l'arrêter, pensant peut être qu'elle était une professeure ou une élève de classe préparatoire. Elle se retrouva dehors dans la rue animée sur laquelle donnait le lycée. Le bruit et l'agitation la perturba un instant mais elle regarda le ciel et ses doutes s'envolèrent. Le petit nuage était toujours là. Elle marcha jusqu'à un arrêt de bus et prit le premier qui passa. Elle n'avait pas sa carte, laissée dans son sac, mais ne s'inquiéta pas. Elle ne se souciait plus de rien. Elle s'installa sur un siège et tourna son visage vers le ciel. La pluie s'était arrêtée et les nuages s'éclaircissaient peu à peu, mais elle ne perdait pas de vue son nuage. Il glissait doucement dans la direction que prenait le bus. Quand à un tournant ou devant une grande tour elle le perdait des yeux, son cœur bondissait et elle se sentait abandonnée. Mais il revenait toujours dans son champ de vision, et elle poussait un soupir de soulagement. C'était comme revoir un ami après de longues heures de solitude.
Elle resta pendant plus d'une heure à son siège, regardant le ciel à s'en donner un torticolis, puis elle arriva au terminus. Elle descendit du bus et se retrouva dans la banlieue. Elle resta un moment debout, immobile, les yeux ne pouvant quitter son petit bout de coton céleste. Puis un autre bus arriva et elle le prit en vérifiant simplement qu'il était dans sa direction. Elle resta encore une demi-heure à le regarder avec émerveillement dans la voûte qui prenait une teinte bleu clair. Elle descendit encore une fois une terminus. Elle était à la campagne à présent, sur une route de taille moyenne. Sans plus regarder autour d'elle, elle se mit à marcher, suivant des yeux le petit nuage. Elle avançait sans faire attention aux passants qui étaient contraints de l'éviter au derniers moment et elle n'évitait poteaux et barrières que de justesse. Elle continuait à le poursuivre, la joie au coeur. Elle marcha pendant plus d'une heure, et elle ne ressentait aucune fatigue. Le nuage l'appelait et c'était tout ce qu'elle sentait. Elle arriva sur des hautes falaises qui plongeaient abruptement dans la mer. Elle continua à marcher. Son petit nuage s'était éloigné, chassé par le vent qui s'était levé. Il était tout au bout du ciel, touchant l'océan de ses membres blancs. Elle arriva au bord de l’à-pic. Des centaines de mètres plus bas, les vagues se fracassaient contre la pierre. Le nuage l'appelait. C'était son ami, il l'avait attendu, il allait l’accueillir. Elle n'hésita pas. Elle rejoignit le petit nuage. Sa chute dura de longues secondes, mais elle ne quittait pas le nuage des yeux. Son cœur était enfin comblé de toute la joie et la solitude qui lui manquait.
Elle le rejoignit.

Espoir


J'ai écris cette nouvelle après avoir vu une fille seule sur un banc, et d'après les difficultés pour s'intégrer d'une amie. 

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